MD : Il y a aujourd’hui dans ton travail comme une sorte de balancement – peut être même une dialectique – entre deux positions a priori contraires : d’un côté une approche plutôt euclidienne, presque cartésienne de l’espace, et que pourrait illustrer ton intervention à la Maréchalerie ; de l’autre, une approche plus sensible, plus géographique des choses, à l’instar des travaux issus de ton voyage en Islande. Plutôt que l’espace et ses fondamentaux, la question du paysage y semblait primordiale, et dans ce paysage quelque chose d’impalpable qui viendrait de la naissance du monde et qui demeurerait là, inviolée, comme un territoire parallèle sur lequel tu porterais un regard fasciné et admiratif. D’une part donc, Euclide, Descartes, Leonard de Vinci et l’art comme « cosa mentale », et tout ce qui a donné naissance à une certaine pensée de l’architecture et de l’espace, et dans laquelle on t’a longtemps situé – comme quelqu’un qui produirait des espaces ou des lectures d’espaces en s’inscrivant ou en répondant à un lieu donné – et d’autre part, René Char et Francis Ponge, Gaston Bachelard et Michel Serres, soit une approche sensible et géographique des lieux et des choses pour mieux y relever/révéler tout ce que le territoire peut contenir de sensations, d’événements et de potentialités.
DS : Je n’ai pris conscience de cette double présence dans mon travail que très récemment, et d’autant plus précisement au moment même où tu formules cette remarque. Le lieu remplit plusieurs fonctions, et ceci de manière générale comme dans mon propre travail. Le lieu, c’est bien sûr là où nous sommes, c’est-à-dire un contexte à la fois physique et géographique, un endroit qui va conditionner ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on ressent… C’est un environnement où l’on va évoluer, y compris avec ce qu’il est en propre et notamment ses limites ; à leur contact physique ou imaginaire il est possible d’imaginer un au-delà, un au-delà de ses limites et des nôtres. Le lieu est également un espace-temps informel d’organisations à travers des lois et des croyances, des hiérarchies et des rapports humains. C’est donc un espace construit physiquement comme un bâtiment, un pont, une ville, des infrastructures…, mais aussi élaboré socialement comme un système d’échanges et de partages. Dans cette idée de construction, il y a tout ce que la conscience humaine est capable d’élaborer et de mettre en place de manière formelle et informelle, ce monde matériel et immatériel que l’on produit, dans lequel nous avons fini par vivre et qui ne doit pas nous faire oublier qu’il reste inclus dans un autre monde qui nous préexiste. Nous sommes donc à la fois capable de produire un monde fini et imaginaire, et simultanément d’envisager ce qui n’a ni début ni fin et qui existe indépendamment de toute volonté humaine.
À l’origine, dans mon travail, j’avais un rapport plus analytique que sentimental au lieu, et ce que je produisais était le fruit d’une observation, puis d’une analyse du lieu où j’intervenais. Mais le lieu était déjà pensé comme une intériorité qui pouvait ensuite devenir notre intériorité. C’était comme être à l’intérieur de nous-mêmes autant qu’à l’intérieur d’un espace. Puis, quand mon regard s’est élargi et que le paysage a commencé à y prendre une importance centrale, la notion d’horizon a commencé à émerger et à repousser les limites de mon approche de l’espace. Mais, là encore, je me suis très vite posé la question de l’horizon intérieur. Le lieu était devenu un lieu ouvert, et ses limites pouvaient elles aussi devenir le support d’une intériorité. Là se situe également un mouvement, un balancement, mais qui est plus pour moi une tension, une mise en tension inhérente à cette double possibilité, à cette double capacité de la conscience humaine à éprouver et à ressentir, et dans le même temps à s’interroger sur la nature de ce sentiment.
L’horizon en lui-même possède également cette dualité fondatrice puisqu’il met en présence deux éléments qui semblent se toucher mais qui ne se touchent pas. La ligne de l’horizon n’existe pas au sens propre du terme. C’est une ligne imaginaire inatteignable qui pose la question de l’infini. C’est un événement de la nature et un effet très singulier de notre conscience des choses. Si on le retourne, si on l’envisage comme un horizon intérieur, que sépare-t-il ? Quel est le point le plus éloigné que je peux percevoir à l’intérieur de moi-même de là où je suis ? De là où je suis physiquement et mentalement ? Que devient alors cette sensation d’infini ? J’ai le sentiment que nous le contenons, que nous contenons une infime partie de cet infini. Même si elle est régulièrement remise en cause, on a une idée de la naissance de l’univers, mais le problème de « l’avant » sa naissance reste entier… On sait comment, à un moment donné, la terre s’est formée, mais l’apparition de la vie reste quelque chose de mystérieux, de chimiquement mystérieux. On ne sait toujours pas vraiment comment elle s’est générée, même si on peut constater une tendance « naturelle » de la matière à se complexifier, et placer dans cette complexification la naissance de la vie, de la conscience humaine, puis de « l’humanité ». Il y a là, je pense, l’idée que nous provenons tous de la même immensité probablement sans limites. En tant qu’individu, je suis une manifestation infinitésimale et finie de cette immensité infinie ; cette conscience me permet de dire que je contiens une infime parcelle de cette infinité. Et ce sentiment d’infini, me semble-t-il, est double : il y a ce que je suis, ce que je contiens et que je ne connaîtrais jamais vraiment puisqu’une infime partie de ce dont je suis fait est sans limites et simultanément, à l’instant même où je commence à avoir conscience de qui je suis, je ne suis plus exactement qui j’étais à cet instant, puisque j’en sais un peu plus…
MD : Le chemin est donc infini ?
DS : C’est difficile à affirmer car je n’aurai jamais la possibilité de le voir en entier ; personne n’a d’ailleurs réussi à le cartographier ! Mais, oui, je pense que l’on n’en verra jamais la fin, une fin qui n’existe peut-être même pas.
MD : L’horizon pour toi est une ligne de séparation imaginaire entre deux espaces, deux territoires, deux univers… Mais, à l’instar de deux lignes parallèles qui se rejoignent à l’infini, est-ce que ces deux situations que l’horizon sépare, se rejoignent, ou tentent de se rejoindre à l’infini ? Et quels seraient ces deux éléments ou ces deux états à l’intérieur de soi, à l’intérieur de chaque être humain, qui sont séparés et que la ligne d’horizon ferait se rejoindre ?
DS : Il me semble que deux lignes parallèles ne se rejoignent jamais, elles donnent juste l’illusion de se rejoindre. Tenter de faire se rejoindre ce qui est par nature séparé engendre une tension, une instabilité. C’est l’idée d’une unité complexe. Ce pourrait être ces deux infinis, celui que l’on contient, et celui que l’on produit engendré par la nature même de l’existence quand celle-ci s’interroge sur elle-même comme sur le monde. Pourtant ce questionnement un jour s’arrête, quand il tombe nez à nez avec la mort. Cette unité complexe, cela pourrait être aussi de parvenir à vivre tout à la fois avec l’idée de jouissance et l’idée de mort, de désirer la vie. Ce serait l’idée du bonheur au sens le plus ordinaire, le plus quotidien possible, alors même que l’on naît avec la certitude que notre existence a une fin ; comment rester détendu dans ces conditions ? Cela me semble être un vrai défi ! Quand on commence à s’interroger et, donc, à rendre hommage à notre humanité, quand on commence à mettre sa conscience en marche et, se faisant, à produire des idées, du sens, des émotions, des objets, on peut parvenir à inscrire la finitude de sa propre destinée, comme dans toute destinée, à l’intérieur de l’évolution de l’humanité. Et c’est incroyable ce que l’humanité a pu produire alors qu’elle est très jeune quand on la compare à l’âge de la vie ou de l’univers. Cette production me fascine. Elle est la preuve qu’un certain nombre d’individus ne renoncent pas. Ils trouvent l’énergie pour sans cesse imaginer, avancer, produire, réaliser, générer, partager… – en un seul mot : vivre ! Ils trouvent cette énergie sans doute en étant toujours en recherche, en quête, en perpétuelle expérimentation ce qui peut parfois rendre difficile leur rapport à l’autre, leur présence aux autres, entre les autres.
Longtemps j’ai travaillé sur le seuil – ce que je continue toujours. Je travaillais justement sur ce qui se passait « entre ». Je voulais pouvoir rester « entre ». C’était mon fantasme ! Atteindre une sensation de présence fluide. Mais ce n’est pas tenable, ce n’est pas possible… On ne peut pas rester entre. Et puis, dans l’hypothèse où on y parviendrait, cet entre aurait alors son existence propre, il deviendrait un espace, un lieu, un territoire en soi et ne serait plus entre. Il n’y a que des moyens éphémères d’être entre, en particulier dans tout ce qui est de l’ordre du passage, du rite de passage, de la traversée. La traversée est en elle-même un moment, un état entre, par le mouvement, la transformation et le changement permanents qui la fondent. Mais elle est aussi vouée inexorablement à s’achever, à disparaître.
MD : À l’intérieur de cette humanité que tu décris, penses-tu que l’artiste – ou toi en tant qu’artiste – amène quelque chose de spécifique ?
DS : Quelque chose de l’ordre de la sensation. Oui, c’est d’abord une sensation sourde, ou plutôt indicible, qu’il m’est difficile de décrire. Mais ensuite, cette sensation laisse place à l’analyse, à l’observation et la tentation de la compréhension… À nouveau ce balancement dont je parlais auparavant. En réfléchissant à mon travail – plutôt a posteriori qu’a priori d’ailleurs – je me suis aperçu que quatre idées le caractérisaient : l’horizon, l’indistinction, le ténu et la traversée. J’ai réalisé des oeuvres qui empruntent à un ou plusieurs de ces quatre concepts, associés ou non. J’ai pu proposer une situation où se développe une tentative de traversée d’un horizon – ce qui est par nature impossible –, ou d’une indistinction, ou encore une situation où se met en place ce que pourrait être un horizon indistinct ou un horizon ténu… En confrontant l’autre à ces situations, j’aimerais le placer dans sa position bien ancrée d’humain face au problème que peut poser son existence, le sens de son existence, celui de l’existence en général, et dans le même temps d’y rendre possible son rapport au bonheur, au plaisir, au désir, à l’instant, à l’échange immédiat.
MD : Mais l’oeuvre que tu élabores et que tu nous présentes ensuite, est-elle là pour que l’on découvre quelque chose sur le monde ou sur soi ? Et cette découverte est-elle liée autant à la connaissance qu’à l’expérience ? Est-ce une aventure analytique et mentale, ou un pur moment de bonheur et de plaisir ?
DS : Je pense que l’œuvre est là pour que l’on découvre quelque chose de soi à travers ce qu’elle nous dévoile. L’œuvre est là, extérieure à nous, comme une nouvelle fraction infinitésimale de ce monde qui nous entoure. La rencontre qu’elle réalise est un moment encore une fois dual : il contient la jouissance de la découverte et de l’échange, puis il y a la nature même de ce que l’on vient de découvrir du monde ou de soi ; et celle-ci peut être une source de plaisir, ou à l’inverse de dépression ou d’angoisse. Je me suis retrouvé un jour au CNRS avec un astrophysicien. Il m’a montré des prises de vue du cosmos, puis d’une portion plus réduite sur laquelle on voyait des millions de petits points lumineux, et un de petits points était notre voie lactée. C’était réellement vertigineux, immense et minuscule à la fois. Ce n’est donc pas pour rien que l’être humain a créé des systèmes de pensées ou de croyances !
La connaissance, elle, est une masse informelle et ambivalente qui pose toujours le problème de ce qui préexiste. Quoi qu’il en soit, elle est aussi un très grand facteur de sensibilité. C’est parce que tu connais un certain nombre de choses que tu peux ensuite y être sensible, puis être sensible à un certain nombre d’autres choses par association, par contagion. Une fois de plus c’est indistinct, mélangé. On ne peut pas séparer radicalement les choses.
MD : La collaboration avec d’autres acteurs du monde culturel ou scientifique est-elle importante dans ton travail ? As-tu des « premiers regards », un cercle de privilégiés à qui tu montres tes nouveaux projets, tes nouvelles œuvres ?
DS : Oui, ce sont des gens dont je n’attends rien, et qui n’attendent rien de moi à cet endroit-là. Leur regard est sans calcul, détaché de toute contingence stratégique. Cela se joue à travers une très grande clarté et une très grande franchise, et c’est d’autant plus agréable et précieux que l’on a de plus en plus de difficulté à inscrire dans nos rapports à l’autre cette idée d’un renouvellement, d’un échange ou d’un partage réel… Mais en même temps ce n’est pas si léger que ça, parce que c’est un rapport auquel on tient, que l’on protège et que l’on entretient… Ils sont presque tous extérieurs au champ des arts plastiques : ils sont impliqués dans le cinéma, l’architecture ou la littérature. Finalement, je m’aperçois qu’il manque un musicien !… Mais, surtout, ils possèdent tous une vision du monde spécifique à ce qu’ils font et à ce qu’ils sont. Ce ne sont pas des visions que je partage forcément mais j’y suis particulièrement sensible. Ce que je leur montre, je le fais en partant du principe que c’est terminé, abouti et presque exposable. Et souvent je suis désarçonné par ce qu’ils m’en disent, sans doute parce qu’ils parlent de là où je ne serais jamais. Ils sont là où je ne suis pas, même si c’est de moins en moins le cas parce qu’ils connaissent forcément de plus en plus mon travail, et que nous nous connaissons de mieux en mieux.
MD : Aucun scientifique ?
DS : Non, pas dans ce cercle-là, mais il y a des scientifiques que j’interroge parfois. Même si je pense que les sentiments qui s’élaborent autour d’une idée, d’une démarche, d’un processus sont mystérieux et qu’il ne faut pas toujours chercher à les expliquer... Cela a été obsessionnel à un moment donné, cette idée de tout comprendre et de tout connaître, de pouvoir avoir une vision synthétique du monde, une vision qui sans doute rassure. Puis, j’ai eu le sentiment que ce n’était pas sain, que cela cachait une peur, et surtout que c’était absurde, absurde et impossible, presque arrogant…
MD : Je pensais que tu avais eu cette prise de conscience pendant ton voyage en Islande. Or, tu m’as dit que non, que ce n’était pas au moment du voyage mais au moment où tu en as revu les images ; ce n’était donc ni devant le paysage, ni au moment où tu as fait les images, ni même au moment du premier regard sur ces images, mais longtemps après. Est-ce que ce n’est pas finalement au moment de ton exposition à Paris, à la galerie Dominique Fiat, que les choses ont basculé. Car tu y proposais un environnement qualifié, dans lequel il y avait une recherche de qualité : qualité de couleur, qualité spatiale, qualité de symbole. De plus cet espace était le tien et pourtant il demandait au spectateur de s’y réinscrire : il lui était offert. Et puis, au centre de cet environnement, tu avais installé un rapport au savoir, au partage de la connaissance.
DS : Oui, c’est une exposition qui a été et qui reste pour moi très importante. C’est à ce moment-là que ce sont mis en place ces idées d’horizon, d’indistinction, de ténu et de traversée dont je parlais tout à l’heure. Cette exposition m’a également permis de distinguer la réalité, la représentation de cette réalité et une abstraction possible de cette réalité. Pour être plus précis, il s’agissait là, à partir d’une représentation de la réalité, de construire une réalité analogue à la réalité d’origine. Car, pour la première fois en observant une image animée – en l’occurrence une vidéo non préméditée que j’avais faite de personnages traversant un espace dans une intensité lumineuse – j’ai commencé à élaborer une réalité possible de cette représentation. Il y avait donc, au cœur de cette réalité possible que je proposais, un bureau avec deux chaises l’une face à l’autre, mais c’était moins un bureau et deux chaises que l’idée d’un bureau et de deux chaises. Un rapport humain s’y créait parce que le bureau était orienté : il y avait la chaise de celui qui reçoit et celle de celui qui est reçu. Mais on pouvait également être assis seul à ce bureau, sans personne en face, et se retrouver alors dans un jeu de projection mentale. Une lumière rose l’éclairait sans que l’on puisse vraiment savoir si cette lumière venait de l’intérieur ou de l’extérieur du bureau. La couleur rose annonçait l’amour et la douceur. Elle qualifiait donc là le rapport entre ces deux personnes assises l’une en face de l’autre, l’une étant celle qui accueille et qui est censée transmettre, donner quelque chose à celle qui est en face et qui va la recevoir et l’accepter. Il s’agissait de cette idée que l’on ne détient rien vraiment en propre et qu’il faut sans cesse apprendre du monde, de soi, de l’autre, et qu’il ne faudrait jamais envisager le savoir comme un pouvoir.
Cette exposition possédait également une dimension spatiale particulière, avec une perspective et une circulation issues d’un travail de dessin très formel et très précis en plans, en élévations et en proportions, car l’espace devait provoquer ce temps du rapport et de l’échange et contenir ce sentiment à la fois de traversée physique des êtres dans l’espace et de ce qui les traverse en eux-mêmes. Tout s’y réunissait donc. C’est ce que j’espère également provoquer l’année prochaine au Frac Haute-Normandie à partir d’une organisation créée par une répétition d’un espace virtuel (quatre centres délimitant un carré) dans l’espace du rez-de-chaussée du Frac. Cette organisation restera difficile à cerner car ces centres nous reflètent à la fois en nous divisant et en nous multipliant, mais se reflètent aussi eux-mêmes les uns dans les autres. Ces centres ont la taille d’un homme, cela pourrait donc être une foule organisée, miroitante et confuse dont on ne saisit pas d’emblée l’organisation. Le rez-de-chaussée deviendra le lieu d’une réalité construite qui nous contient et qui nous aveugle, une réalité omniprésente dont l’existence est pourtant suspendue à notre croyance.
À l’étage, il y aura l’idée d’une perte de vue, au sens « à perte de vue », l’idée d’un horizon. Il sera composé d’environ 40 formes géométriques verticales, des rectangles qui pourraient contenir un homme les bras levés, tendus. Chaque rectangle sera lui-même divisé en 2 et leur succession créera, par nuance et par contraste, une ligne d’horizon virtuelle qui dépasse l’individu et qu’à la fois l’individu contient, ce qui renverra à cette idée d’horizon intérieur. Je l’ai appelée perspective sans point de fuite. Elle sera là, matérielle, affirmée, et répondra à l’espace – en tout cas c’est l’espoir que j’en ai – et en même temps elle ne sera pas là. Elle fera en sorte que l’on devra cesser de la regarder parce que si le regard se porte uniquement sur elle, sur cette perspective sans point de fuite, sur cette ligne d’horizon, on ne verra plus les œuvres, on ne verra plus l’espace, on ne verra plus l’exposition. Et cela me plaît beaucoup ce rapport physique à l’œuvre, même si ce sont des choses dont j’ai pris conscience très récemment et presque à mon insu. Je l’ai déjà expérimenté à travers des miroirs sur lesquels un mot ou un fragment de phrase était gravé. On ne peut pas à la fois physiquement se voir et voir le mot. On se retrouve alors face à une image de soi sans pouvoir vraiment se voir, parce que plus on se focalise pour voir le mot, pour le déchiffrer et le lire, plus l’image de soi disparaît pour devenir indistincte. J’espérais qu’à la lecture de en pleine vie ou je disparais, on se retrouve non pas devant une image de soi, celle que justement on ne regarde plus, mais face notre propre intériorité. Comme un déplacement, un retournement, un renversement du regard de l’extérieur vers l’intérieur.
MD : Dans ce projet pour le Frac Haute-Normandie, les matières que tu vas utiliser ne sont pas, elles non plus, neutres : d’un côté de l’inox poli et donc réfléchissant – mais qui n’est pas vraiment du miroir – de l’autre, du verre translucide, qui lui reflétera ce qui l’entoure de manière indistincte, mais comme une vraie/fausse opacité.
DS : On est une fois de plus dans cette dualité liée au regard : on ne peut jamais vraiment voir entièrement les choses, et on ne peut pas se fier uniquement à ce que l’on a vu. Dans le phénomène de la perception, il y a toujours une part qui nous échappe, une part de ce qui se passe, une part du monde, une part de soi. Les matériaux que j’ai choisis sont donc des matériaux tangibles, présents, expressifs et, dans le même temps, fuyants.
MD : Ce sont des matériaux réactifs.
DS : Oui, bien sûr, car ils possèdent cette capacité à faire disparaître ce qu’ils sont alors même qu’ils nous font face et ne se cachent pas, et cela sans truc de magie, sans artifice, sans processus chimique ou électronique.
MD : Mais justement, ce qui m’intéresse quand tu dis cela, c’est de savoir si ce ne sont pas des matériaux « horizon ». L’inox est un miroir dans lequel on ne retrouvera pas une image qui se donne d’emblée, une image frontale qui ne bouge pas. Mais comme il s’agit tout de même d’un reflet, l’effet miroir que l’on voudrait y voir demeure inatteignable, il est sans cesse repoussé, comme l’horizon, au plus lointain. Le verre repousse lui aussi au plus lointain l’effet par lequel on voudrait le caractériser, l’enfermer, le figer. Ce sont donc, pour moi, des matériaux producteurs d’horizons en ce sens où l’horizon est cette chose qu’on ne pourra jamais atteindre.
DS : Oui, tout à fait. Le verre, par exemple, je ne l’utilise pas pour sa transparence puisque je le peins, et le fait qu’il soit peint arrête sa transparence tout en révélant son épaisseur, et cette épaisseur révèle une profondeur. Et je voudrais que cette profondeur engendrée par l’effet d’opacité rencontre la profondeur de celui qui la regarde. Je cherche à déstabiliser le spectateur, à le prendre au piège, mais un piège délicat, un piège sensuel qui cache son jeu. Je voudrais qu’on y aille tranquillement et que, tout à coup, quelque chose s’ouvre...
MD : Comme lors d’une promenade ?…
DS : Oui, mais alors une promenade à laquelle tu ne t’attendais pas… Imagines que tu décides de faire une certaine promenade et, en cours de route, il se produit un ou plusieurs évènements qui ne pouvaient pas être prévus et qui modifient totalement la nature de cette promenade, elle devient alors autre chose… Mais si tu avais su à l’avance ce qui allait se produire, tu ne serais sans doute pas parti, perdant sans jamais le savoir quelque chose au passage, en l’occurrence au « non-passage »… Je me souviens d’un voyage, il y a quelques années, un voyage au cours duquel j’ai eu une expérience de peur, de très grande peur. Si j’avais su en partant que j’allais avoir aussi peur, je ne serais probablement pas parti… Grâce à ce voyage, j’ai pris conscience que cela faisait presque vingt ans que je n’avais pas eu peur, en tout cas que je ne m’étais pas dit : « j’ai peur », ce qui n’était pas du tout normal !
MD : Une peur panique ?
DS : Non, une peur glaçante, intense, dense. Une peur de ne pas être à la hauteur, qui cachait une peur de mourir, alors qu’il ne s’agissait pas d’une situation de mort mais d’une situation où personne ne pouvait rien pour moi. Je me suis senti à vif, ressentant comme je n’avais jamais ressenti jusqu’alors. Cette peur m’empêchait de faire, et donc se renforçait elle-même : la peur entretient la peur. Mais je n’avais pas le choix, rebrousser chemin était un effort physique à fournir encore plus important que celui à déployer pour continuer. Il fallait avancer quoi qu’il advienne, parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen de s’en sortir. Quand j’ai ressenti, puis compris, que c’était la peur qui m’empêchait de faire, j’ai commencé à me répéter à voix basse : « Il ne faut pas que la peur t’empêche de faire, il ne faut pas que la peur t’empêche de faire, il ne faut pas… », pendant une heure ou deux, je ne sais plus. Il n’y avait plus de conséquence, je n’imaginais plus les conséquences, je ne faisais que me répéter cette phrase, c’est tout ; et dans le même temps je faisais ce que je devais faire sans réaliser que j’étais en train de le faire. Au bout d’un très long moment, je me suis aperçu que les choses avaient été faites, et j’ai pleuré pendant des heures, de joie, de soulagement, de relâchement. Rétrospectivement, je n’ai pas le souvenir d’une très grande violence, mais d’une très grande concentration. J’ai ressenti à quel point la peur pouvait autant empêcher que permettre, et permettre sans forcer, sans contraindre. Ce qu’elle rend possible est puissant, mais pas garanti. Choisir de proposer des œuvres clairement provocantes, qui font peur en surface, c’est prendre le risque de voir les regards se détourner. Ce que je cherche à faire c’est permettre à celui qui regarde de plonger dans l’œuvre, de s’y engouffrer sans vraiment s’en rendre compte, de s’y abandonner et à peut être y rencontrer une peur à transformer en énergie. Je ne cherche donc pas à faire peur, en tout cas pas d’emblée !
MD : D’où cette volonté de travailler sur les seuils pendant longtemps, de réaliser des portes, des points d’entrée ; puis sur « l'entre », c’est-à-dire sur du basculement, de la traversée ; et enfin sur des environnements ouverts, duaux. Est-ce que c’est réduire ton parcours que de le définir par ces trois moments ?
DS : Ce n’est pas le réduire, c’est le définir d’un point de vue chronologique car, en réalité, je ne suis pas passé de l’un à l’autre, puis à l’autre encore. Il est vrai que pendant un premier temps, le « seuil », puis « l'entre », ont été des objectifs. Maintenant, ce sont des moyens ! Ils restent pour moi des lieux de tensions, des lieux insaisissables et intenables. Ils imposent pour être cernés plusieurs niveaux simultanés de lecture, de sensations et donc de perception. J’essaye de proposer des oeuvres dont la matière et la structure imposent d’emblée ces différentes natures de visions : une vision frontale, une vision de reflet, une vision dans l’épaisseur. La frontalité de l’oeuvre cache quelque chose qui est à la fois ailleurs et liée à l’endroit où je me situe. En même temps, elle contient une perspective mais qui n’est pas forcément instantanément lisible. Ensuite elle contient une épaisseur. Enfin cette épaisseur peut convoquer notre propre profondeur. Il y a donc toujours quelque chose qui se passe « entre ». Ce qui a changé, c’est que j’assume plus généreusement de chercher à mettre en oeuvre un rapport au monde qui nous entoure.
MD : Et à nous-mêmes ?…
DS : Oui, et par ce biais, à nous-mêmes.
Conversation publiée en décembre 2007 dans la monographie horizon intérieur
MD : In your current work there is a kind of fluctuation –perhaps even a dialectical tension- between two apparently contradictory positions : on the one hand, a rather Euclidian, almost Cartesian approach of space, which could be illustrated by your intervention at the Maréchalerie, on the other hand, a more sensitive, more geographic approach to things, as in the work born of your trip to Iceland. Rather than space and it’s fundamentals, the question of landscape seems primordial, and in this landscape something unpalpable, which came from the birth of the world and lives there, not violated, like a parallel territory on which you convey a fascinated and admiring vision. On the one hand, then, Euclid, Descartes, Leonardo da Vinci, and art such as « cosa mentale », and all that gave birth to a certain thought on architecture and space and, in which you have been positioned for a long time - like someone who produced space or an interpretation of space by «ensconcing in» or responding to a given place - and, on the other hand, René Char and Francis Ponge, Gaston Bachelard and Michel Serres, thus a sensitive and geographic approach of places and things that best record/reveal everything that the territory could contain of sensations, events and potentialities.
DS : I have only recently been aware of this double presence in my work, and even more precisely at the exact moment which you formulated this remark. I now realize that place fulfils several functions, in general and in my own work. The place, of course is where we are, that is to say a context, a physical context, a geographic context, an area that primes what we see, what we hear, what we feel. It’s an environment where we’re going to evolve, including its peculiar caracteristics, especially its limits ; then it’s possible to imagine what is beyond its and our limits.. It’s also an informal place of organisations through laws and beliefs, hierarchies and human relations. It’s therefore a place physically constructed, like a building, a bridge, a city, infrastructures, but also socially elaborated, like an exchange and sharing system. In this idea of construction there is therefore everything that the human conscience is capable of elaborating and establishing in both formal and informal ways, this material and immaterial world which we create, which we end up living in, and which shouldn’t make us forget that it remains included in another world which existed before us. We are therefore at the same time capable of producing a finite and imaginary world, and simultaneously to imagine that which has neither beginning nor end and which exists independently of all human will.
Originally, I had a more analytic than sentimental relationship to place in my work, and what I produced was the fruit of observation, then an analysis of the place where I intervened. But the place had already been thought of as an interiority that could then become our interiority. It was like being inside our self as much as inside the space. Then, when my vision widened and the landscape started to have a central importance to it, the notion of the horizon started to emerge and push back the limits of my approach to space. But, there again, I quickly questioned the existence of an interior horizon. Place had become an open place, and its limits could, themselves, become the support of interiority. Movement, fluctuation, is also found in that, but, for me it’s more of tension, inherently creating tension from this double possibility, this double capacity of the human conscience to test and feel, and at the same time interrogate the nature of this sentiment.
The horizon itself also possesses this fundamental duality, as it presents two elements that seem to touch but don’t. The horizon line doesn’t exist in the true sense of the term. It’s an unattainable imaginary line that questions infinity. It’s an event of nature and a very singular effect of our consciousness of things. If we turn it over, if we imagine it’s an interior horizon, what does it separate ? What is the furthest point I can perceive inside myself from where I am ? Where I am physically and mentally ? What then happens to this sensation of infinity ? I have the feeling that we contain it, that we contain a minute part of this infinity. Even if regularly questioned, we have an idea about the birth of the universe, but the problem of «before» its birth entirely remains. We know how, at a given moment, the earth was made, but the apparition of life remains a mystery, a chemical mystery. We still don’t really know how it was generated, even if a «natural» tendency for matter to become more complex can be ascertained, thus placing the beginning of life, human conscience, and «humanity» in this complexification. In that, I think, is the idea that we all originate from the same immensity probably without limits. As an individual, I am an infinitesimal and finite manifestation of this immense infinity. And this sensation of infinity, seems to me, is double : there is what I know, what I contain and will never really know because a minute par of what I am made is without limits and, simultaneously, at the very moment when I start to be conscious of who I am, I am no longer exactly who I was at that instant, because I know a little more…
MD : The path is, consequently, infinitive?
DS : That’s difficult to ascertain, as I will never be able to see it in its entirety; besides, no one has been able to map it ! But, yes, I think we’ll never see the end, an end that perhaps doesn’t even exist.
MD : For you the horizon is an imaginary separation line between two spaces, two territories, two universes… but, like two parallel lines that meet at infinity, do these two situations separated by the horizon meet, or attempt to meet at infinity ? And what becomes of these two elements, or two states inside of oneself, inside of each human, if the horizon line meets ?
DS : It seems to me that two parallel lines never meet they only give the illusion of meeting. Attempting to join what nature has separated creates tension, instability. It’s the idea of a complex unity. It could be these two infinities, the one we contain and the one we produce, generated from existence by nature when it questions itself as it questions the world. However, this questioning stops one day, when it’s face to face with death. This complex unity could also come from living with the idea of enjoyment and the idea of death together, the desire for life. It would be, then, the idea of happiness in the most ordinary, most everyday possible sense, even if we were born with the certainty that our existence has an end ; how can we remain relaxed under these conditions ? To me, this seems like a real challenge ! When we start to question ourselves, and, therefore give homage to our humanity, when we put our conscience in gear and produce ideas, sense, emotions, objects, we can finally register the finitude of our own destiny, as with all destiny, inside human evolution. And, it’s incredible that humanity could produce such things, given that it is very young compared to the age of life or of the universe. This production fascinates me. It’s the proof that there are people who don’t give up. They manage to always find the energy to imagine, advance, produce, achieve, generate, share… - in a word : live ! - Without a doubt they find this energy by constantly searching, seeking, in perpetual experimentation which sometimes makes their relationship with one another, their presence and being with others, difficult.
For quite sometime I have been working on the threshold – I still am. I actually worked on what happened “between”. I wanted to remain “between”. It was my fantasy ! Achieve a sensation of fluid presence. But it is not obtainable, it is not possible… We cannot stay between. Besides, in the hypothesis where we could achieve this, it would then be its own existence, it would become a space, a place, a territory itself and would no longer be between. There are only ephemeral means to be between, particularly in everything that is in the order of a passage, a rite of passage, a transition. The passage itself is a moment, a between state, by the permanent movement, transformation and changing that establishes it. But it’s also incontestably destined to end, to disappear.
MD : Inside this humanity you describe, do artists -or do you, yourself as an artist- have to convey something specific ?
DS : Something like feeling and sensation. Yes, at first it’s a deaf feeling, or rather inaudible, which is hard for me to explain. But then, this sensation yields to an analysis, an observation and the temptation to understand… Again this fluctuation I mentioned before. In thinking about my work -rather a posteriori than a priori, moreover– I realized that four ideas characterize it : horizon, indistinction, tenuousness and crossing. I created works that borrowed one or several of these four concepts, associated or not. I showed a situation where an attempt to cross the horizon was developed –that which by nature is impossible-, or a situation which presents what could be an indistinct horizon or a tenuous one … In confronting others with these situations, I’d like to put them, with their well-anchored human position, in front of the problem which their existence can present, the sense of their existence, that of existence in general, and at the same time permit their connection with happiness, pleasure, desire, instant, immediate exchange.
MD : But the work you create and present next, does it exist to make us discover something about the world or about ourselves ? And is this discovery linked as much to knowledge as to experience ? Is it an analytic and mental adventure, or a moment of pure happiness and pleasure ?
DS : I think this work exists so that we can discover something of ourselves through what it unveils to us. The work exists outside us, like a new minute fraction of the world around us. The encounter it creates is again dual : containing the enjoyment of discovery and exchange, in addition, there is nature itself in what we have just discovered about the world or oneself ; and this can be a source of pleasure, or inversely, depression or anguish. One day, I met an astrophysicist at the CNRS. He showed me pictures of the cosmos, and then a smaller section in which could be seen millions of little luminous dots, and one of these little dots was our milky way. It was incredibly mind boggling, immense and minuscule at the same time. No wonder the human being created thought systems or beliefs !
Knowledge is an informal and ambivalent mass, which always presents the problem of what already exists. Be that as it may, it is also a very large factor of sensitivity. It’s also because you know things that you can then be sensitive to them, and next, you can be sensitive to other things by association, by contagion. Once again it’s indistinct, mixed-up. One cannot radically separate these things.
MD : Is collaborating with other people in the cultural or scientific world important to your work ? Do you have “first seers”, a circle of privileged to whom you show your new projects, new works ?
DS : Yes, they are people who expect nothing from me, and I expect nothing from them in this vein. Their vision is not calculating, it’s indifferent to strategic contingences. Their regard is with an enormous clarity, and a vast frankness, and it’s even more pleasing and valuable as it becomes more and more difficult to inscribe this idea of renewal, of exchange, or of a real sharing in our relations with other people… But at the same time, it’s not as easy as that, because they are relations we value, protect, maintain… Almost all of them are outside the visual art world : they are involved with the cinema, architecture or literature. I’ve just realized that I’m missing a musician !... But, most importantly, they all have a vision of the world specific to what they do and what they are. These are not necessarily visions that I share but I am particularly sensitive to them. When I show them something, in principal, it’s finished, concluded and almost ready to be exhibited. Quite often I am dumbfounded by what they tell me, without a doubt because they are speaking from where I will never be. They are where I am not, even if it’s less and less the case because they, naturally, understand my work more and more and we know one another better and better.
MD : No scientist ?
DS : No, not in this particular circle, but I do question scientists from time to time. Even if I think the sentiments that develop around an idea, a method, a procedure, are mysterious and it isn’t always necessary to explain them… It was, at one time, obsessional, this idea to understand everything and to know everything, to have a synthetic vision of the world, a vision that without a doubt was reassuring. Then I had the feeling that it wasn’t healthy, that it hid a fear, and especially that it was absurd, absurd and impossible, almost arrogant…
MD : I think you had this conscience awareness during your trip to Iceland. However, you told me it wasn’t during your trip, but when you looked at the images much later ; it wasn’t then, before the passing, nor at the time you took the pictures, not even at the moment you first looked at these images, but a long time after. Was it, eventually, at the time of your exhibition in Paris, at the Dominique Fiat gallery that things shifted ? Because you present a qualified environment, in which quality research had been done : quality of colour, spatial quality, symbolic quality. In addition, this was your space, nevertheless, it asked the spectator to insert himself : it was given to him. And then, in the middle of this environment, you installed an account of knowledge, of sharing cognizance.
DS : Yes, this exhibition was very important to me and it remains so. It was at that moment the idea of horizon, indistinction, tenuousness and crossing that I mentioned before were put in place. This exhibition also permitted me to distinguish between reality, representation of reality and abstraction possible from reality. To be more precise, it’s a question there, from representation of reality, to construct a reality analogue to the original reality. Because, for the first time in looking at an animated image – in the present case a non-premeditated video I made using characters traversing a space with intense light – I started to elaborate a possible reality from this representation. Then, at the heart of this possible reality I offered, I placed a desk with two chairs facing one another, but it was less a desk and two chairs than the idea of a desk and two chairs. A human connection emerged because of how the desk was arranged : there was the chair of the person receiving and that of the person received. But one could also be seated alone at the desk, without anyone across from them, thus finding oneself in a game of mental projection. There was pink light, and it was impossible to ascertain if it came from inside or outside the desk. Pink proclaiming love and sweetness. It qualified, therefore, the relation between the two people seated face-to-face, one who welcomed and who was supposed to transmit, to give something to the other, who will receive and take. It’s a question of that idea that we don’t really have anything of our own and that we must continually learn from the world, from ourselves, from others, and that knowledge should never be thought of as power.
This exhibition also possessed a particular spatial dimension, with perspective and circulation born from a formal and precise design and plan, in elevation and in proportion, because the space had to provoke this relation and exchange period and simultaneously contain the sentiment of physical crossing in space and of what passes in ourselves. Therefore, everything is united. It’s what I also hope to provoke next year at the ground floor space of the Frac Upper-Normandy from a organization created by repeating a virtual space (four centres delimiting a square). This organization will be difficult to understand because these centres don’t only simultaneously reflect, divide and multiply us, but also reflect themselves in one another. The centres are the size of a man, they could be, therefore, a crowd, glittering and indistinct, we can’t, therefore, grasp a sense of organisation. The ground floor will become a place of constructed reality that contains us and blinds us, an omnipresent reality whose existence, however, hangs on our beliefs.
Upstairs, there will be the notion of lost sight, in the sense of “losing sight”, the notion of horizon. It will be made of about 40 vertical geometric forms, rectangles, which could hold a man with his arms raised above his head. Each rectangle will be divided in two and their order will create, by nuance and by contrast, a virtual horizon line which will be beyond the individual and at the same time be contained in the individual, returning to the notion of an interior horizon. I’ve called it perspective without vanishing point. It will have a material and affirmed presence, and respond to the space – anyhow, that’s my hope – and at the same time it won’t be there. It will be as if we should stop looking at it because if we look only at it, at this perspective without vanishing point, at this horizon line, we’ll loose sight of the works, the space, and the exhibition. This physical relationship to the work really delights me, even if it‘s something I only recently, and unintentionally, am aware of. I have already experimented with it using mirrors with words, or fragments of words, engraved on them. We can’t at the same time see ourselves and see the word. We are faced with an image of ourself we can’t really see because the more we focus to see the word, to figure it out and read it, the more the image of ourself disappears and becomes indistinguishable. I hope that in looking at I am full of life or I vanish in plain view or I’m disappearing the viewer doesn’t only find himself in front of his image, that actually he no longer looks at, but is facing his own interiorness. Like transferring, turning inside out, rotating the regard from the exterior to the interior.
MD : In this project for the Frac Upper-Normandy the materials you are going to use are not, or are no longer, neutral : on the one hand polished stainless steel, therefore reflective - but not really a mirror – on the other, translucent glass, which will reflect what is around it in an indistinct manner, but like a true-false opaqueness.
DS : Once again, we have this dual consideration : we can’t really see things in their entirety, and we can’t trust only what we’ve seen. In the phenomenon of perception, there’s always something that escapes us, part of what is happening, a piece of the world, a piece of oneself. I chose, therefore, tangible materials, with presence, expressive and, at the same time, elusive.
MD : These are reactive materials.
DS : Yes, of course, because they have the capacity to hide what they are even if they directly confront us and don’t hide themselves, and all without magic tricks, without artifice, without chemical or electronic processes.
MD : But precisely, what interests me when you say that is to know if these aren’t “horizon” materials. Stainless steel is a mirror in which an embellishing image isn’t found, a frontal image that doesn’t move. But, as it is, however, a reflection, the mirror effect that we’d like to see remains unattainable, it’s continually pushed back, like the horizon, as far as possible. The glass also pushes back as far as possible the effect by which we’d like to characterise it, enclose it, immobilise it. These are, therefore, for me, horizon-producing materials in the sense that the horizon is this thing we can never reach.
DS : Yes, that’s exactly it. For example, I only use glass for its transparency since I paint it, and the fact that it is painted stops it’s transparency while revealing its thickness, and this thickness reveals a depth. And I want the opaque effect this depth produces to meet the depth of the person who looks at it. I’m trying to destabilize the spectator, trap him, but with a delicate trap, a sensual trap that hides its purpose. I want him to go along peacefully and then, all of a sudden, something happens…
MD : Like during a stroll ?
DS : Yes, but then a stroll that you don’t expect… imagine that you decide to take a certain stroll and, en route, one or several things happen that could not have been foreseen and they completely change the nature of this stroll, it thus becomes something else… But if you had known beforehand what was going to happen, you surely wouldn’t have left, loosing forever the knowledge of something through this passage, under the circumstances through this a “non-passage”… I remember a trip several years ago during which I was frightened, very frightened. If I had known before leaving that I was going to have a fright, I probably wouldn’t have gone… Thanks to this trip I realized that I hadn’t been frightened for almost twenty years, in any case not to the point of saying to myself “I’m afraid”, which wasn’t at all normal !
MD : A panic type of fear ?
DS : No, a icy fear, intense, profuse. Fear of not being capable, which concealed a fear of death, as it wasn’t a life or death situation, but it was a situation where no one could help me. I felt alive as I had never felt up until that point. The fear kept me from doing anything, and therefore reinforced itself : the fear incited fear. But I had no choice ; turning back would have required even more physical effort than forging ahead. Advancing was necessary no matter what, because there were no other means of escape. When I realized, then understood, that the fear itself impeded me, I started to repeat to myself “The fear mustn’t keep you from doing it, the fear mustn’t keep you from doing it, the fear mustn’t…” for an hour or two, I don’t remember. There were no more consequences, I no longer imagined the consequences, I only repeated this phrase to myself, that’s all ; at the same time I was doing what I had to do without realising I was in the process of doing it. After a very long time I realized that it had already been done, and I cried for hours, tears of joy, of relief, of release. In retrospective I don’t have the memory of a very intense violence, rather that of an intense concentration. I realized at what point fear could as much prevent from doing something as to allow it, and allow it without force, without constraint. And that it makes doing possible is, indeed, powerful, but without guarantee. In choosing to show works clearly provocative, which are frightening on the surface, I risk averting their eyes. What I want to do is permit the viewer to dive into the work, to be swallowed up without being aware, to give in and maybe to find fear to transform into energy. I don’t mean to scare people, at least not at first !
MD : Hence this desire to work on thresholds so long, to create doors, entrance ways ; then on “between”, in other words on shifting, on transit, and finally on open, dual environments. Does it minimize your path by defining it with these three phases ?
DS : It doesn’t minimize it, it defines it from a chronological viewpoint, as, in reality, I didn’t go from one to the other, then on to the next one. It’s true that at first the “threshold” and “between” were objectives. Now, they are the means ! For me they remain places of tension, ungraspable and unobtainable. Imposing themselves to be defined on several levels simultaneously, from feelings and therefore from perception. I try to create works by which the material and the structure imposes different natures of vision straight away, frontal vision, reflected vision, vision in the thickness. The frontal aspect of the work hides something that is at the same time elsewhere and connected to the place where I am. At the same time, it contains a perspective, but not one that is necessarily instantly legible. Then it contains a thickness. Finally this thickness can convoke our own depth. There is, therefore, always something that happens “between”. What has changed is that I more freely accept seeking ways to implement our relationship to the world around us.
MD : And to ourselves ?
DS : Yes, and by this means, to ourselves.
Conversation published in december 2007 in the monography horizon intérieur