le meilleurs des mondes
the best of all possible worlds
(brave new world)
2009
exposition personnelle
frac haute-normandie
4 centres délimitant un carré, inox poli miroir, 163x163cm ht.183cm 4 centers delimiting a square, mirror polished stainless steel
perspectives sans point de fuite, verre laqué, ht.226cm perspectives without vanishing point, laquered glass
where elsewhere ? diptyque hdv boucle
horizon n°1 diptyque rdv boucle
Anaël Pigeat
texte paru dans art press #355
Le meilleur des mondes, tel est le titre que David Saltiel à choisi pour sa nouvelle exposition au FRAC Haute-Normandie. Référence au roman d’anticipation d’Aldous Huxley, dont le titre en Français se réfère lui-même au Candide de Voltaire, le ton est donné, celui d’une invitation au voyage dans l’univers des possibles. Longtemps préoccupé par les notions de seuil et de passage, l’artiste s’intéresse ici à l’entre-deux, « entre les lignes, entre les mots, entre les autres », dit-il. Et c’est autour de l’horizon, ligne invisible et visible à la fois, qu’il bâtit sa réflexion, passant de l’échelle du paysage à celui de l’espace mental.
Au rez-de-chaussée de l’ancien bâtiment industriel qui abrite le FRAC, David Saltiel avait d’abord projeté d’utiliser les colonnes existantes pour réaliser la salle hypostyle d’une chapelle œcuménique. Finalement, c’est plutôt l’échelle humaine, peut-être celle des fidèles, qu’il a choisi de représenter à travers sa séduisante installation quatre centres délimitant un carré. Plusieurs œuvres sont irrégulièrement posées au sol. Chacune se compose de quatre centres, intersections à 90 degrés de deux plaques de métal poli dont la hauteur, 1m83, est issue du Modulor de Le Corbusier. On entre dans l’installation comme dans un labyrinthe. On s’y promène, on y erre, on se perd, happé par les images qui se reflètent à l’infini. Comme dans les labyrinthes de Robert Morris, ou celui de la cathédrale de Chartres, nous nous retrouvons face à nous même, nous perdant, tout en essayant de nous connaitre. Pourtant, complètement ouverte sur la salle, l’œuvre n’est pas une construction mais une série de sculptures. Vus de la coursive qui forme l’étage supérieur, les miroirs s’opacifient pour former une masse grise. On ne voit plus que les reflets du sol, animés par les pavés de verre rond qui dérident étrangement cette œuvre sérieuse. Des images d’art cinétique viennent aussi à la mémoire, dont on ne sait si elles ont réellement inspiré l’artiste ou bien si elles appartiennent simplement à la mémoire collective.
Deux vidéos prolongent l’exposition. Sur double écran, horizon n°1 présente simultanément et en boucle, un lever et un coucher de soleil. Il s’agit en réalité de la même image, inversée verticalement comme par un effet de miroir. Saltiel propose ainsi un coup d’œil impossible, semblable à ceux qu’offre quatre centres. La seconde vidéo, where elsewhere ? montre deux paysages, sur deux écrans légèrement écartés. Un personnage passe de l’un à l’autre, comme s’il franchissait le bord l’image, et lui offrait un hors-champ. Ce travail qui rappelle certaines vidéos de Bruce Nauman, renforce la cohérence de l’exposition, dans un jeu perpétuel entre intérieur et extérieur, entre infini et inachevé.
A l’étage supérieur, les perspectives sans point de fuite sont inspirées d’une série de photos rapportées d’un voyage en Islande. De ces paysages, il ne reste plus qu’une ligne. Des plaques de verre accrochées verticalement, de la hauteur d’un homme les bras levés, sont agencées en séries, régulièrement alignées ou par couples. Elles sont laquées, chacune en deux nuances de gris. Au centre de chaque plaque, la jonction des couleurs détermine une frontière à peine visible qui de plaque en plaque, dessine une ligne d’horizon tout autour de la salle. Comme les pièces précédentes, ces œuvres dans lesquelles on se reflète incitent à l’introspection. Un beau livre rétrospectif (Ed. Archibooks) accompagne l’exposition et documente divers projets de l’artiste au cours des dernières années. Son titre horizon intérieur, souligne encore ce champ d’investigation dans lequel Saltiel nous entraine.
Mathieu Sourdeix
paru dans le catalogue de l'exposition
Qu’est-ce qui se reflète dans les miroirs du meilleur des mondes ? Ce reflet, les perspectives sans point de fuite le laissent apparaître dans toute son ambiguïté : l’horizon intérieur. Cet horizon est celui de la représentation, dont les miroirs sont l’incarnation. Conformément à la réflexivité intérieure de la représentation, les miroirs se réfléchissent eux-mêmes, comme les perspectives sans point de fuite reflètent l’obscurité de notre présence à l’intérieur de cet espace.
Mais quel passage nous conduit de l’horizon intérieur à l’horizon de la représentation ? Comment sortons-nous de l’intériorité ? Il n’y a pas de passage, parce qu’il n’y a qu’un seul et même horizon qui se révèle dans toute l’infinité de son extension : l’horizon intérieur s’étend aussi loin que le monde. L’étendue et le profondeur de l’horizon n’est autre que celle d’un monde. L’horizon est intérieur au sens où c’est à l’intérieur de l’horizon de la représentation que le monde s’ouvre, dans l’oeuvre. Dans cette perspective, l’installation se présente comme une exploration de cet espace mondial, de sa profondeur, de son horizon, de sa fondation et de son caractère abyssal, mais aussi, avec une certaine ironie, de sa valeur («le meilleur»), et de la «supériorité» de sa bonté et de son excellence.
Le meilleur des mondes est une épreuve de la visibilité moderne. Son ironie tient à l’inversion à laquelle se trouve confronté celui que l’oeuvre fait s’apparaître à lui-même au miroir de la représentation. Au lieu de se clore sur une transparence à soi-même, l’oeuvre montre en effet l’exposition d’une visibilité démultipliée, dont les reflets se fragmentent selon une harmonie préétablie. Enfin, c’est aussi à l’égard de l’interprétation mimétique de l’art, par laquelle Platon pensa l’oeuvre d’art en tant que miroir reflétant et dupliquant l’apparence, que la subtile ironie du meilleur des mondes se révèle.
Anaël Pigeat
translation L-S Torgoff
published in art press #355
The title chosen by David Saltiel for his show at the FRAC Haute-Normandie (Upper Normandy regional art center) was Le meilleur des mondes (The best of all possible worlds), both the French title of Aldous Huxley’s dystopian novel Brave new world and a citation from Voltaire’s Candide. These references clearly set the tone - we were invited to explore a universe of possibilites. Long obsessed with the concepts of threshold and passage, here Saltiel focused on the in-between, «between the lines, between the words, between the others,» he explains. The horizon - a simultaneously invisible and visible line - was at the center of his thinking as he went from the scale of landscapes to that of mental space.
In the basement of the former industrial building that houses the FRAC, Saltiel initially planned to use the existing columns to set up the hypostyle of an ecumenical chapel. Instead he ended up deciding to represent a more human scale - perhaps that of the congregation - in his fascinating installation quatre centres délimitant un carré (four centers delimiting a square). A number of pieces were placed on the floor at irregular intervals. Each comprised four centers, four mirror polished metal sheets intersecting at right angles. The 1.83 meter height of these metal sheets echoed Le Corbusier’s Modulor. Visitors entered the installation as if it were a labyrinth. There they wandered around until they got lost, pulled in by images reflecting to infinity. As in a Robert Morris maze or the one in Chartres cathedral, they found themselves face to face with themselves, losing themselves even as they tried to recognize themselves. Yet the installation was not a closed construction but a series of sculptures completely open to the room. Seen from the walkway on the upper floor, the mirrors turned opaque, forming a gray mass. You could no longer see anything but the reflections of the floor, made to dance by round pieces of glass that seemed to oddly lighten up this serious work. Varions kinetic artworks came to mind, but it wasn’t clear if they were Saltiel’s source of inspiration or simply lodged in our collective memory.
The exhibition also included two videos. Horizon n°1, shown on a double screen, simultaneously presented a sunset and sunrise over and over again. In reality, they were the same picture vertically reversed as if by a mirror. Thus Saltiel offered an impossible view, similar to the one presented by quatre centres délimitant un carré. The second video, where elsewhere ?, showed two landscapes on two screens slightly apart. A character went from one screen to the other, as if passing out of the frame. This video, reminiscent of some of Bruce Nauman’s work, reinforced the coherence of the exhibition with a constant interplay between interior and exterior, infinite and unfinisned.
Upstairs, Saltiel’s perspectives sans point de fuite (perspectives without vanishing point) were inspired by a trip to Iceland. In these landscapes nothing was left but a line. Sheets of glass hung vertically, as tall as a person with raised arms were organized into series, regularly aligned or coupled. Each was lacquered with two shades of gray. At the center of each sheet the junction of the colors created a barely visible boundary line, which, from one sheet to the next, formed a horizon line running all around the room. Like the preceding pieces, seeing your own refection encouraged introspection. Archibooks published a retrospective book on the occasion of this exhibition. Its title, Horizon intérieur, underscores once again the field of investigation into which this artist leads us.
Mathieu Sourdeix
published in the exhibition catalog
translation Paul Richman
What is reflected in the mirrors of The best of all possible worlds (Brave new world) ? Perspectives without vanishing point reveal the reflection in all its ambiguity: the inner horizon (interior horizon). This horizon is representational, and the mirrors are its embodiment. In keeping with the representation’s inner reflectiveness, the mirrors reflect themselves and each other, as the perspectives without vanishing point reflect the obscurity of our presence inside this space.
But, how do we get from the inner horizon to the representational horizon? How do we emerge from this interior horizon ? There is no passage way, because there’s only one horizon – one and the same – which is revealed in all its infinite extent: the inner horizon extends as far as the world. The expanse and depth of the horizon are none other than those of a whole world. The horizon is “interior” in that it is inside the representational horizon that the world opens up, in the work. From this perspective, the installation is not only an exploration of this world space, its depth, horizons, its very foundations and its abyss-like nature, but also, with a touch of irony, its worth (“the best of all possible worlds”), and its “superior” goodness and excellence.
The best of all possible worlds is modern visibility put to the test. Its irony lies in the inverted image which the viewer reflected in the mirror of representation is faced with when contemplating the work. Instead of being confined to a transparency of oneself, the work shows manifold visibility, whose reflections are fragmented in predetermined harmony.
Lastly, it is also in terms of interpreting art as mimesis, which led Plato to consider art to be a mirror reflecting and duplicating appearance, that the subtle irony of The best of all possible worlds is revealed.